Cette chronique s'articule entre autres autour de quelques causes que nous souhaitons défendre. Elle est susceptible d'essaimer en quelques sous-rubriques au gré des envies.

lundi 3 mai 2010

Jean-Jacques Goldman : "Juste après"

Les chansons écrites par Jean-Jacques Goldman ont ceci de particulier qu'elles attirent d'abord l'oreille par leurs qualités musicales (mélodie, orchestration, harmonisation). Une fois qu'on a bien l'air en tête, le texte lui-même prend toute son importance et se révèle en général tout à fait digne d'intérêt en soi. J'ai toutefois été surprise par cette chanson : quand je l'ai découverte pour la première fois lors de la sortie de l’album « Rouge » (interprété par Jean-Jacques Goldman, Carole Fredericks et Mickael Jones), elle m'a séduite par son rythme et sa mélodie entraînante, mais je n’ai pas vraiment compris de quoi elle parlait. Il est grosso modo question d’une femme, et Goldman s’interroge sur ce qu’elle a bien pu faire « juste après ». Mais juste après quoi ? Une rupture avec son homme ? Une dispute ? Des retrouvailles ? Son travail ? Toutes les hypothèses étaient envisageables, mais aucune ne me convenait, à cause de la phrase suivante :

« Comme dormait cet enfant
Si paisible en ignorant
Qu’on en pleurait jusqu’ici. »

Goldman a sans doute trouvé « la » recette pour faire de bonnes chansons… En ce qui concerne celle-ci, je suis donc restée dans l’ignorance, l’incompréhension et les conjectures pendant un long moment. Et j’ai entendu parler d’un reportage à la télé qui en aurait déclenché l'écriture. Sans avoir plus de détails. Je me suis donc dit que c’était une chanson qui parlait sans doute de quelque chose de difficile, peut-être dans un pays pauvre ? D’une femme qui se bat tous les jours pour survivre ?

Et puis, il y a eu le concert, à Brest. Et là, surprise : Goldman, quand il est en concert, fait les choses bien ; les spectateurs ont droit à un véritable « son et lumière », avec projections d’images et tout le toutim. Il avait donc prévu un écran géant et la diffusion, en introduction de cette chanson, du reportage qui avait été à l'origine de son écriture.

Et là, j’ai été littéralement bluffée. La chanson a pris une dimension incroyable.
Le reportage, c’était une femme en train d’accoucher. Elle était assistée du médecin et d’une sage-femme. La sage-femme attrape l’enfant. Il ne bouge pas. Ne crie pas. Ne respire pas. Le temps passe, comme suspendu.
Un silence incroyable a accompagné ces images, dans la salle. Personne ne disait mot : des milliers de têtes étaient rivées sur l’écran géant, suspendues à ces images : qu’allait-il se passer ? L’enfant était-il mort, à peine né ?
Le temps passe, les secondes s’écoulent, éloignant de plus en plus l’espoir d’un cri, ce son salvateur qui indique que l’air est entré pour la première fois dans les poumons du nouveau-né et qu’il est en vie…
Le temps est suspendu aux manœuvres de réanimation de la sage-femme, aux claques qu’elle donne sur les fesses du nouveau-né pour le faire réagir, au bain destiné à le réchauffer…
Et ces yeux qui s’ouvrent, ce bébé qui naît pour la deuxième fois, vivant, cette fois…

Et la salle qui se remet, dans son entier, en un seul et même mouvement, à respirer. Les premières notes, le soulagement de ces milliers de personnes… les cris de joie devant cette vie sauvée par la ténacité de la sage-femme… Elle avait la peau noire des femmes d’Afrique, mais cette scène aurait presque pu avoir lieu dans n’importe quel hôpital du monde.

C’était ça, c’était « juste après » ça… Je n’ai plus jamais écouté cette chanson avec les mêmes oreilles. Le souvenir de ce reportage lui donne une dimension extraordinaire. Il ne s’agit pas du problème de l’émotion pure ou du souvenir de ce que nous avons ressenti. Mais bien de la tendresse des mots pour dire que cette femme, c’est tous les jours qu’elle est confrontée à ces situations, à la vie, à la mort. Et qu’après un de ces événements, effectivement, lors de sa pause, elle peut peut-être trouver le temps d’écrire une lettre, de finir un livre…

Paru en 1993 dans l’album Rouge, Columbia (COL474955-2).

1 commentaire:

  1. tu décris merveilleusement bien la nature et l'inspiration de cette chanson qui est magnifique.

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