Cette chronique s'articule entre autres autour de quelques causes que nous souhaitons défendre. Elle est susceptible d'essaimer en quelques sous-rubriques au gré des envies.

dimanche 25 avril 2010

Gérard Souzay dans "Castor et Pollux"

L'enregistrement de l'opéra de Rameau Castor et Pollux (Harnoncourt, 1972) comporte des erreurs de distribution flagrantes avec une majorité de chanteurs à la diction difficile et peu soignée (un contresens absolu dans une tragédie lyrique), et quelques prestations franchement faibles, dont un Castor pénible à la place duquel on rêverait d'entendre Michel Sénéchal ou Alain Vanzo par exemple...

Sauf que... Ce disque est réédité pour un prix modique (10 € environ en France, certes sans livret), et surtout, il permet d'entendre deux "pointures"...

Le chef Nikolaus Harnoncourt d'abord, qui laisse peu de traces au disque de son goût pour l'opéra français (on le sait pourtant féru d'Offenbach et, ici en l'occurrence, de Rameau). Tempi retenus mais tension permanente et style parfois abrupt, c'est un théâtre âpre et intense qui se met ici en place.

Le baryton Gérard Souzay surtout, ici en fin de carrière, moins somptueux de timbre mais toujours en pleine possession de ses moyens stylistiques et dramatiques. Face à des partenaires parfois laborieux, il déroule son Rameau comme dans un rêve, belle leçon de style et d'élégance d'un naturel épatant, témoignage d'une science de la déclamation entre-temps (presque) perdue et qu'il n'appartient qu'à nous de renouveler...

Stockholm Kammerkören, Concentus Musicus Wien, dir. Nikolaus Harnoncourt.
Enregistrement Teldec "Das alte Werk", 1972, réédité chez Warner (2564 69730-8, 3 CD). Attention pour les puristes : il va de soi que les pratiques d'interprétation de l'époque ont vieilli...


samedi 17 avril 2010

Denez Prigent : Me zalc'h ennon ur fulenn aour

Un album étrange. Beau. Exigeant.

Denez Prigent a découvert la langue bretonne chez ses grands-parents. Une langue parlée et vécue dans la sérénité. Il découvre le chant. Et il a du talent.

Bien connu en Bretagne, mais aussi bien plus loin, c'est un novateur. Il n'hésite pas à allier des thèmes traditionnels et des sons électroacoustiques (entre autres). Il mélange aussi les instruments traditionnels aux sons électroniques, avec bonheur malgré l'étrangeté ressentie à la première écoute.

Le résultat est étonnant. Plein de profondeur, d'une grande sensibilité. Les chansons présentes sur cet album sont presque toutes des compositions. Il y parle de l'épidémie due au virus d'Ebola au Zaïre, de la renaissance du Tro Breiz, d'une usine en Roumanie, de la télévision ou du génocide au Rwanda.

On y trouve aussi des textes inspirés de légendes bretonnes, et le Chant des Séries (Ar Rannou), un des chants les plus ancines de Bretagne qui récapitule le mythe cosmogonique celtique en douze séries. Les "Rannou" sont chantées de une à douze avec répétition à chaque fois des séries déjà récitées.

La voix chaude et grave de Denez Prigent porte à merveille ces Séries. Le chant se fait lancinant, répétitif (comme beaucoup de mélodies bretonnes), envoûtant, et donne à percevoir la richesse de ce texte qui reste obscur pour des oreilles du XXIè siècle. On pourrait penser que la répétition pourrait devenir lassante... C'est sans compter l'inventivité musicale dont Denez Prigent sait faire preuve : chaque nouvelle série est chargée d'une autre ambiance, rendant ce moment unique.

Toutes ces mélodies, ces chansons, sont des airs à danser. Et Denez Prigent n'a pas son pareil pour allier la modernité des thèmes et des instruments à la tradition des mélodies et des danses.

Un album extraordinaire qui dépasse allègrement les frontières de la Bretagne.


Disque Barclay et Rosebud 539 254-2 (1997)

lundi 5 avril 2010

Destouches : Callirhoé

En voici un qui revient de loin, ou plus exactement du purgatoire dans lequel la culture générale a l'habitude de vous jeter pendant quelques décennies ou quelques siècles sans que vous n'y compreniez rien. Aux côtés de quelques autres "repêchés" (des Marin Marais, des Elisabeth Jacquet de la Guerre, rien que des belles prises...), André Cardinal Destouches (1672-1749) prouve qu'il y a une vie entre Lully et les grandes tragédies de Rameau, même dans le grand opéra...

Car Destouches fut de son vivant une valeur sûre - et nous n'entendons pas par là un de ces professionnels fiables et honnêtes qui meublent l'attente, mais un musicien remarqué et remarquable. Mais ne refaisons pas ici un historique que les plus curieux liront, avec grand profit, dans les textes d'accompagnement de ce disque. Callirhoé (ici sa version de 1743) est un drame plein d'ardeur, construit autour d'un thème qui n'a pas été battu et rebattu et où le compositeur montre toute l'ampleur de son savoir-faire. Un drame qui commence dans le feu de l'action, qui se déroule à hauteur d'homme, n'abuse pas de digressions. Un conte lumiériste où le bien et le mal, l'intérêt commun et l'intérêt personnel sont tout entiers dans les mains des protagonistes et où les Dieux ne sont que des prétextes.

Il n'empêche qu'une découverte a toujours besoin de bons découvreurs. Le chef Hervé Niquet nous semble incarner beaucoup des espoirs que nous nourrissons pour la renaissance d'une pratique naturelle et décomplexée de l'opéra français ; en particulier, le soin apporté à la qualité de la déclamation place cet enregistrement au sommet de la discographie récente. Prise en compte des spécificités de la langue en termes d'articulation et d'émission, exécution parfaite de (presque) toutes les liaisons, intelligibilité, font de ce disque (et de tous ceux de la même collection*) une authentique merveille de naturel. Dommage que ce qui devrait être la norme soit devenu l'exception.
Le rôle titre bénéficie la voix profonde et ambrée de Stéphanie d'Oustrac - parfaite pour une princesse qui dissimule sous des dehors mélancoliques et résignés la force de caractère d'une héroïne. Elle donne en particulier la réplique à un "presque méchant" fabuleux, le prêtre Corésus incarné par Joao Fernandes, timbre capiteux, tempérament volcanique. Corésus qui pique une colère spectaculaire où une troupe déchaînée, chœur (dont on comprend le texte ! Une merveille, on vous dit) et orchestre (le Concert Spirituel, somptueux de timbres et d'unité comme toujours) sont là pour faire trembler le théâtre du sol au plafond ! À écouter à fond quand les voisins sont absents, ou à chanter en karaoké quand, ça peut vous arriver, vous aimeriez qu'un dieu vengeur descende de l'Olympe pour résoudre vos problèmes d'une façon radicale...

Choeur et orchestre du Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet, 2006.
Enregistrement paru chez Glossa (8 424562 21612 9) ; coffret 2 CD ou mieux, mais plus difficile à trouver, livre-disque ref. GES 921612-F.
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* La même troupe a enregistré, dans la même collection, Proserpine de Lully et Sémélé de Marais.