En voici un qui revient de loin, ou plus exactement du purgatoire dans lequel la
culture générale a l'habitude de vous jeter pendant quelques décennies ou quelques siècles sans que vous n'y compreniez rien. Aux côtés de quelques autres "repêchés" (des Marin Marais, des Elisabeth Jacquet de la Guerre, rien que des belles prises...), André Cardinal Destouches (1672-1749) prouve qu'il y a une vie entre Lully et les grandes tragédies de Rameau, même dans le grand opéra...
Car Destouches fut de son vivant une valeur sûre - et nous n'entendons pas par là un de ces professionnels fiables et honnêtes qui meublent l'attente, mais un musicien remarqué et remarquable. Mais ne refaisons pas ici un historique que les plus curieux liront, avec grand profit, dans les textes d'accompagnement de ce disque. Callirhoé (ici sa version de 1743) est un drame plein d'ardeur, construit autour d'un thème qui n'a pas été battu et rebattu et où le compositeur montre toute l'ampleur de son savoir-faire. Un drame qui commence dans le feu de l'action, qui se déroule à hauteur d'homme, n'abuse pas de digressions. Un conte lumiériste où le bien et le mal, l'intérêt commun et l'intérêt personnel sont tout entiers dans les mains des protagonistes et où les Dieux ne sont que des prétextes.
Il n'empêche qu'une découverte a toujours besoin de bons découvreurs. Le chef Hervé Niquet nous semble incarner beaucoup des espoirs que nous nourrissons pour la renaissance d'une pratique naturelle et décomplexée de l'opéra français ; en particulier, le soin apporté à la qualité de la déclamation place cet enregistrement au sommet de la discographie récente. Prise en compte des spécificités de la langue en termes d'articulation et d'émission, exécution parfaite de (presque) toutes les liaisons, intelligibilité, font de ce disque (et de tous ceux de la même collection*) une authentique merveille de naturel. Dommage que ce qui devrait être la norme soit devenu l'exception.
Le rôle titre bénéficie la voix profonde et ambrée de Stéphanie d'Oustrac - parfaite pour une princesse qui dissimule sous des dehors mélancoliques et résignés la force de caractère d'une héroïne. Elle donne en particulier la réplique à un "presque méchant" fabuleux, le prêtre Corésus incarné par Joao Fernandes, timbre capiteux, tempérament volcanique. Corésus qui pique une colère spectaculaire où une troupe déchaînée, chœur (dont on comprend le texte ! Une merveille, on vous dit) et orchestre (le Concert Spirituel, somptueux de timbres et d'unité comme toujours) sont là pour faire trembler le théâtre du sol au plafond ! À écouter à fond quand les voisins sont absents, ou à chanter en karaoké quand, ça peut vous arriver, vous aimeriez qu'un dieu vengeur descende de l'Olympe pour résoudre vos problèmes d'une façon radicale...
Choeur et orchestre du Concert Spirituel, dir. Hervé Niquet, 2006.
Enregistrement paru chez Glossa (8 424562 21612 9) ; coffret 2 CD ou mieux, mais plus difficile à trouver, livre-disque ref. GES 921612-F.
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* La même troupe a enregistré, dans la même collection, Proserpine de Lully et Sémélé de Marais.